Une publication dans Cryosphere

Fonte record de la calotte du Groenland en 2019



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Une étude scientifique à laquelle a participé Xavier Fettweis, climatologue à l’ULiège, démontre que le Groenland a enregistré en 2019 un taux record de fonte de sa calotte glacière. Un triste record qui n’est pas uniquement dû à la hausse des températures, mais aussi aux conditions anticycloniques qui ont prévalu sur le Groenland pendant presque tout l'été de 2019. L’étude révèle des pertes dues à la persistance  de hautes pressions en été non prises en compte par les modèles climatiques et qui pourraient multiplier le taux de fonte par deux.

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année 2019 aura été l'une des pires années jamais enregistrées pour la calotte glaciaire du Groenland, qui a perdu de centaines de milliards de tonnes de glace en l’espace d’une année. Selon une étude à laquelle a participé Xavier Fettweis, chercheur qualifié FNRS au Laboratoire de Climatologie de l’ULiège (Unité de recherches SPHERES / Faculté des Sciences), cette perte sans précédent n’est pas seulement due aux températures plus élevées. En effet, l’étude a identifié des configurations de circulation atmosphérique (conditions anticycloniques) exceptionnelles qui ont contribué de façon majeure à la perte rapide de masse de la calotte glaciaire. « Les modèles climatiques qui prévoient la fonte future de la calotte glaciaire du Groenland ne tiennent pas compte actuellement de ces changements  atmosphériques en été, explique Marco Tedesco, chercheur à Université de Columbia et premier auteur de l’article publié dans la revue Cryosphere (1). Ces modèles pourraient bien sous-estimer la fonte future de moitié environ. »  Pour arriver à ce triste constat, les chercheurs ont eu recourt à des données satellitaires, des mesures au sols et des modèles climatiques (tels que le modèle du climat MAR développé à l’ULiège).

Les chercheurs ont découvert que si 2019 a vu la deuxième plus grande quantité de ruissellement provenant de la fonte des glaces (2012 était pire), elle a apporté les plus grandes baisses du bilan de masse en surface depuis le début de l'enregistrement en 1948. Le bilan massique de la surface tient compte des gains de masse de la calotte glaciaire - par exemple grâce aux chutes de neige - ainsi que des pertes dues au ruissellement des eaux de fonte en surface.

Jusqu'à présent, 2012 était la pire année pour le Groenland concernant le bilan de masse en surface, avec une perte de 310 milliards de tonnes par rapport à la base de référence de 1981-2010. Pourtant, les températures estivales au Groenland étaient en fait plus élevées en 2012 qu'en 2019. Alors pourquoi la surface a-t-elle perdu autant de masse l'année dernière ? L’équipe scientifique a découvert que cette perte record de glace était liée aux conditions de haute pression (appelées conditions anticycloniques) qui ont prévalu sur le Groenland pendant quasi tout l'été  2019.

Les conditions de haute pression ont empêché la formation de nuages dans la partie sud du Groenland. Le ciel clair qui en a résulté a laissé entrer plus de rayonnement solaire qui a fait fondre la surface de la calotte glaciaire. Sans nuages, la région a compté environ 50 milliards de tonnes d'accumulation neigeuse en moins que ce qui ajouter habituellement à la masse de la calotte glaciaire. Ce manque de neige a également laissé de la glace noire et nue exposée à certains endroits, absorbant plus de chaleur et aggravant fortement la fonte en surface.

« Ces conditions atmosphériques sont devenues de plus en plus fréquentes au cours des dernières décennies, reprend Marco Tedesco. «Il est très probable que cela soit dû à l'ondulation du Jetstream, que nous pensons être liée, entre autres, à la disparition de la couverture neigeuse en Sibérie, à la disparition de la glace de mer, et à la différence de vitesse à laquelle la température augmente dans l'Arctique par rapport aux latitudes moyennes". En d'autres termes, le changement climatique pourrait rendre les conditions atmosphériques de haute pression destructrices plus courantes au Groenland.

 «  La calotte glaciaire perd également des centaines de milliards de tonnes lorsque les icebergs se détachent dans l'océan, explique Xavier Fettweis. Dans des conditions stables, les gains en matière de bilan massique de surface seraient suffisamment élevés pour compenser la glace perdue lorsque les icebergs se détachent. Dans les conditions actuelles, le vêlage dépasse de loin les gains du bilan de masse en surface. Dans l'ensemble, on estime que la calotte glaciaire a perdu 600 milliards de tonnes en 2019, ce qui représente une élévation du niveau de la mer d'environ 1,5 millimètre. »

Les modèles actuels du climat mondial ne sont pas en mesure de saisir ces effets d'un jet stream plus important. En conséquence, les simulations des impacts futurs sous-estiment très probablement la perte de masse due au changement climatique. « C'est presque comme s'il manquait la moitié de la fonte additionnelle dûe à la hausse des températures",  déplore Marco Tedesco

La calotte glaciaire du Groenland contient suffisamment d'eau gelée pour faire monter le niveau de la mer jusqu'à 7 mètres. Comprendre les mécanismes qui génèrent ces changements de la circulation atmosphérique sera crucial pour améliorer les projections sur la quantité d'eau qui inondera les océans à l'avenir.

"Cette fonte est un signal d'alarme qui nous indique qu'il est urgent de changer notre mode de vie pour freiner le réchauffement climatique, car il est probable que les projections du GIEC soient un peu trop optimistes pour l’Arctique", conclu Xavier Fettweis, ajoutant que les conditions atmosphériques ne sont probablement pas dues à la variabilité climatique naturelle et pourraient être influencées par le réchauffement climatique.

Greenland summer 2019 anomalies

Anomalies de l'été 2019 en nombre de jours de fonte (a), chutes de neige (b), albédo (c), nébulosité (d), et température à deux mètres au-dessus de la glace (e). Image : Tedesco et Fettweis, 2019.

Référence scientifique

TEDESCO M., FETTWEIS X., Unprecedented atmospheric conditions (1948–2019) drive the 2019 exceptional melting season over the Greenland ice sheet, The Cryosphere, April 2020

PHOTO : Un front glaciaire en retrait de la calotte du Groenland. © Kevin Krajick/Earth Institute

Contact

Laboratoire de Climatologie | UR SPHERES | Faculté des Sciences de l'Université de Liège

Xavier FETTWEIS

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